La Chevrette

 


Le mécanisme des naissances en question

Dans les structures de population de chevreuils installés, le principe de filiation opère de façon matrilinéaires1. C’est la chevrette qui décide de tout, qui transmet les gènes, le savoir et les habitudes liées au territoire. La bonne situation sanitaire des chevrettes est liée à la capacité d’accueil du milieu. Il a du reste été  prouvé que ceci décide beaucoup plus de la qualité génétique des animaux à long terme que la sélection des trophées de mal adultes. Le chevreuil utilise pour se reproduire une phase de rut précoce comparée aux autres ongulés en Europe. Le mâle atteint sa maturité sexuelle à l’âge de 12 mois si sa masse corporelle est suffisante, et la chevrette à 14 mois à condition toutefois qu’elle ait atteint un poids de 20 kg minimum. La motivation sexuelle augmente de jour en jour jusqu’à son comble lors de l'œstrus de la femelle qui ne dure que 24 à 48 heures. Cette période qui nous est bien connue, le rut du chevreuil, se situe entre le 15 juillet et le 15 Août. Pendant les deux jours que dure l’ovulation, elle s’accouplera avec plusieurs partenaires. Imaginez un peu, un brocard dans la force de l’âge peut comptabiliser jusqu’à 7 chevrettes conquises lors du rut !  Attention un brocard dans la force de l’âge n’est pas toujours un brocard avec un trophée magnifique. Certain spécialistes pensent même que des températures très froides durant la période de repousse peuvent avoir un impact sur la qualité des trophée. Même sur des animaux d’une qualité génétique moindre.

 

Une fois fécondé, c’est là que le mode de reproduction de l’espèce pose problème pour une adaptation efficace aux changements climatiques ; l’implantation de l’œuf fécondé est différée. C’est ce que l’on nomme la diapause embryonnaire ou encore l’ovo-implantation différée. L’œuf ne se développe qu’après 170 jours si bien que la gestation ne débute qu’en toute fin du mois de décembre ou au plus tard au cours des premiers jours de janvier. Elle dure plus ou moins 130 jours. Même si la période d’accouplement est relativement longue, la date moyenne de mise bas du chevreuil reste constante, avec une très forte synchronie des mises bas. Les suivis de populations de chevreuils sur les territoires de Chizé et de Trois-Fontaines ont montré que 80 % des naissances ont lieu en un peu plus de 2 semaines avec un point balance situé au 15 mai. Sur ce schéma, les naissances se produisent aujourd'hui deux semaines après l'apparition en forêt des jeunes pousses dont se nourrissent les chevreuils et dont dépendent particulièrement les femelles allaitantes. Ce déficit de ressources végétales riches en sucre rapide accroît la mortalité des faons, ce qui diminue le nombre de faons atteignant l'âge d'un an. Le mécanisme semble imparable… L’avancée progressive du printemps décale donc la période optimale pour la qualité des ressources par rapport à celle des naissances et place les chevrettes dans une situation de plus en plus défavorable. Les chevreuils ne réussissent pas à adapter leur mise bas en fonction du réchauffement climatique. En conséquence, la mortalité des faons augmente. Pourtant les espèces animales ont le plus souvent la capacité de s’adapter aux variations progressives de leur environnement. Elles peuvent, par exemple, modifier la phénologie2 de leur reproduction en fonction de la température pendant la gestation. C'est le cas du cerf élaphe, qui l’ajuste par un rut et des mises bas plus précoces, comme cela a été observé en Écosse, avec des naissances plus précoces de trois semaines en moyenne depuis trente ans. C’est un vrai problème d’avenir pour les chevreuils ; piloté par la photopériode, le cycle de reproduction de la chevrette ne peut s’adapter aux conditions environnementales.


© 2021 Marc Rouget